Bonjour
en effet quelle expédition pour cet obélisque...
Le colosse de Louxor
Camille Perotti
Mis en ligne le 11/08/2008
Rétrospective
On se souvient de "l'homme araignée" qui l'avait escaladé à mains nues en avril 1998 ou des militants d'Act Up qui, à l'occasion de la journée mondiale du sida, le 1er décembre 1993, l'avait recouvert d'un préservatif rose gigantesque. Pourtant, ce n'étaient pas les premières aventures de l'obélisque de la Concorde. Erigé au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, il a été offert à la France en 1830. Pour faire parvenir le monolithe de plus de 220 tonnes jusqu'à la plus belle place de Paris, il a fallu plus de six ans.
Le cadeau
La France a toujours nourri un grand intérêt pour l'Egypte. Napoléon Bonaparte, par son désir de conquête militaire d'un pays riche et stratégiquement bien placé sur la route des Indes a aussi montré le souhait d'explorer ces contrées enchanteresses à la culture envoûtante. Les obélisques sont très prisés depuis des siècles comme monuments commémoratifs car il y est plus facile de graver des inscriptions que sur un cylindre. Les Français regardent avec envie du côté de Rome où trônent des obélisques arrachés à la vallée du Nil du temps des Césars. Ainsi, quand Jean-François Champollion, l'égyptologue qui a déchiffré les hiéroglyphes, fait part dans un rapport officiel de la présence de deux "obélisques de près de quatre-vingts pieds, d'un seul bloc de granit rose, d'un travail exquis" (1), au temple de Louxor, les autorités françaises sont en émoi. Charles X, qui a succédé à son frère, Louis XVIII, est en très bons termes avec Mohammed Ali, vice-roi d'Egypte qui lui a déjà offert une girafe. De plus, Champollion insiste auprès du gouvernement en le flattant : "L'étranger parcourt notre capitale sans y rencontrer quelque part un seul monument qui rappelle, même indirectement, notre étonnante campagne d'Egypte [...] Aucun genre de monument n'est plus propre à perpétuer la mémoire de cette grande expédition" (2). A Paris, le ministre de la Marine, le baron d'Haussez, est décidé à faire venir l'obélisque de Louxor. Le baron Taylor, commissaire royal auprès de la Comédie-française se rend alors à Alexandrie, chargé de négocier avec Mohammed Ali. Entre-temps, le nouveau consul général d'Angleterre, John Barker, demande lui aussi l'un des deux obélisques de Louxor. Convoqué, le consul de France, Jean-François Mimaut, suggère alors au vice-roi d'Egypte d'offrir l'obélisque de Karnac, réputé pour être le plus grand et le plus beau, à l'Angleterre et les deux obélisques de Louxor, à la France. L'Angleterre accepte l'idée, soufflée, en réalité, par Champollion. Le stratagème est intelligent : si l'obélisque de Karnak est supérieur en taille à ceux de Louxor, il est placé au milieu d'une cour emplie de constructions que personne n'oserait détruire pour le dégager... Et, après tout, Mohammed Ali pense que la France mérite un beau cadeau après le service que Champollion a rendu à l'Egypte pour avoir dissipé le mystère des hiéroglyphes qui régnait depuis quinze siècles.
Alors qu'en France, une monarchie constitutionnelle se met en place avec Louis-Philippe, duc d'Orléans, à sa tête, on réfléchit au moyen d'acheminer le monolithe de 220 tonnes de la vallée du Nil à Paris. Les ingénieurs français mesurent la difficulté de l'entreprise.
La conduite des opérations est confiée au ministère de la Marine, à l'ingénieur Lebas, car il dispose de moyens pour abattre et transporter des obélisques.
Sur avis de Champollion, on décide d'emporter l'obélisque occidental, celui de droite. Les ingénieurs imaginent d'abord un grand radeau qui permettrait d'apporter l'obélisque sur les berges du Nil et serait ensuite remorqué à travers la Méditerranée par un bateau à vapeur, puis il serait déplacé sur un bâtiment spécial jusqu'au Havre puis de nouveau sur un radeau pour remonter la Seine. Trop compliqué, déclare la commission chargée d'examiner le projet : ce sera donc un navire unique, un voilier de trois mâts, léger pour supporter le poids, solide et spacieux. 500000 francs sont alloués à l'expédition du bateau baptisé "Luxor". A bord, 121 personnes, des énormes poutres, poulies et outils...
Le Luxor commandé par Raymond de Verninac Saint-Maur, prend la mer le 15 avril 1831 à Toulon. Après avoir dépassé la Sicile, les difficultés commencent, la bateau dérivant à cause d'un vent d'est, mais il accostera tout de même le 3 mai à Alexandrie. Une fois les autorisations nécessaires reçues, le Luxor part en direction du Nil, le 14 juin et c'est le 31 juillet qu'il atteint Louxor après de multiples échouages.
Pour acheminer l'obélisque jusqu'au navire, une trentaine de maisons sont détruites. Plus de 400 personnes sont employées pour enlever les décombres et aménager une chaussée.
Après une épidémie de choléra parmi les ouvriers, l'abattage est prévu pour octobre. Protégé par des planches de bois, on incline d'abord l'obélisque grâce à un système de treuils puis il est freiné : près de 200 hommes servent à la manoeuvre. Une fois à terre, les Français se rassurent, la fissure apparente n'est due qu'à un défaut du granit rose. Il faudra ensuite près de quatre mois pour embarquer l'obélisque dans le Luxor et attendre près de huit mois la crue du Nil. Enfin, le 25 août 1832, le navire s'engage sur le fleuve en direction de la Méditerranée. A Alexandrie, les Français attendent le printemps pour traverser la Méditerranée, ils arriveront après de nombreuses péripéties à Cherbourg, le 12 août 1833 où Louis-Philippe monte à bord pour distribuer des récompenses. Comme à Louxor, la crue se fait attendre. Remorqué par un bateau à vapeur, le voilier entre dans Paris le 23 décembre 1833 après un périple de 12 000 kilomètres.
Le projet d'embellissement de la place de la Concorde est adopté le 24 avril 1935. Pour accueillir l'obélisque, il est décidé de construire un nouveau piédestal grâce à des blocs de granit pris en Bretagne. Un chaussée inclinée de 120 mètres est construite pour faire arriver l'obélisque au centre de la place. Finalement, il est érigé le 25 octobre 1836 sous les ordres de Lebas, l'ingénieur de l'expédition, en présence de Louis-Philippe.
Les Français acclament ce nouveau monument mais après tant d'efforts, personne ne songe au second obélisque, resté seul devant le temple de Louxor.
(1) Lettre du 24 novembre 1828.
(2) "Obélisques égyptiens à transporter à Paris", 29 septembre 1830, Archives nationales, Marine BB1029.
Amicalement
Monique